Silent Hill 2 (Remake)

Silent Hill 2 est souvent considéré comme le chef-d’œuvre de la franchise, ayant solidifié la place de la série dans l’histoire du jeu vidéo, et même au-delà. Cette réputation ne relève ni du hasard, ni d’une simple nostalgie. Sans nul doute, Silent Hill 2 sur PlayStation 2 était visionnaire, étonnamment mature et maîtrisé, pour une production de 2001. Le titre se distinguait notamment par l’exploration de thèmes complexes et par une narration immersive exploitant avec malice l’interactivité propre au jeu vidéo. Plus de vingt ans après, ses qualités continuent de résonner, attestant de son influence durable sur le médium. Pour ce remake, le défi majeur était de préserver l’aura unique de l’original sans la dénaturer, tout en apportant des améliorations pour coller aux codes de notre époque. Avec en amont une pression immense, doublée d’un pessimisme déraisonnable d’une grande partie de la presse, la Bloober Team a-t-elle finalement réussi ce pari fou ?

Ce test a été réalisé sur une version PS5 fournie par l’Éditeur.

Le défi d’une vie

Le 19 octobre 2022, il est 23 heures en France, et chaque fan de Silent Hill retient son souffle. Konami est sur le point de diffuser sur sa chaîne YouTube le « Silent Hill Transmission », un programme spécial dédié à la saga. Après des années de silence, celle-ci fait enfin l’objet d’annonces officielles ! Avant de révéler plusieurs projets autour de la licence, Konami confirme surtout la préparation d’un remake de Silent Hill 2 avec une bande-annonce qui va faire beaucoup parler.

Des interrogations font surface : Et si ce remake n’était pas à la hauteur de ce monument de la PlayStation 2 ? Pourquoi avoir abandonné ce rendu abîmé et détérioré de l’image ? Pourquoi James a-t-il cette tête ? L’action va-t-elle prendre le pas sur l’ambiance ? J’en passe et des meilleurs. Mais on se rassure tout de même, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, Masahiro Ito, le concept artist original, et Akira Yamaoka, le compositeur emblématique, sont de retour. Ensuite, le remake est confié au studio polonais Bloober Team (Layers of Fear, Observer, The Medium, Blair Witch), spécialistes de l’horreur psychologique, fans depuis toujours de Silent Hill 2, et qui n’a cessé d’imprégner leurs différents projets. La bonne volonté du studio est palpable et on ne peut décemment leur faire un procès d’insincérité. 

Les maux d’outre tombe

Alors, ça parle de quoi Silent Hill 2 ? Précisons d’abord qu’il ne s’agit pas d’une suite du premier volet sur le plan strict de l’intrigue. Cette dernière se tient à elle seule, en toute indépendance, avec un début, un milieu et une fin (plus précisément, huit dénouements sont possibles selon vos actions). Notez que Silent Hill 4 (le dernier de la quadrilogie développée au Japon par la Team Silent) est rattaché à Silent Hill 2, mais ceci est une autre histoire ! Bref, le protagoniste incarné par le joueur se nomme James Sunderland. Les premières scènes le présentent face à un miroir, l’air désorienté, dans des toilettes publiques en piètre état. Il est en proie à un profond désarroi après avoir reçu une lettre de sa défunte femme, Mary. Dans cette missive, Mary l’invite à la rejoindre à Silent Hill, à un endroit qu’elle désigne comme « notre lieu à nous ».

Bien que rationnellement, James sache que cela est impossible, une force irrésistible le pousse à vérifier par lui-même. Et si Mary, décédée il y a trois ans des suites d’une maladie incurable, l’attendait réellement à Silent Hill ? La séquence d’introduction est divisée en deux temps distincts : James se regardant dans le miroir, puis ce dernier face à l’immensité brumeuse de Silent Hill, explicitant le contenu de la lettre, avec comme nappe sonore les notes ensorcelantes d’Akira Yamaoka. La version originale sur PS2 intégrait déjà ces éléments narratifs et esthétiques, mais l’adoption de l’Unreal Engine 5 dans cette version permet de transcender encore davantage la mise en scène, qui s’était déjà révélée percutante en 2001. Ce remake annonce d’emblée la couleur et s’articule autour d’une philosophie claire : sublimer les composantes fondatrices tout en préservant scrupuleusement l’intégrité de l’œuvre initiale.

Une fois le contexte posé, on prend le contrôle de James, qui se dirige vers la ville maudite. En chemin, il rencontrera des personnages troublants, comme Maria, qui ressemble étrangement à Mary, mais dont l’apparence est beaucoup plus sexualisée. James croisera également Laura, une enfant affirmant avoir connu Mary, mais souvent agressive et mystérieuse. Il fera aussi la rencontre d’Angela, une jeune femme profondément traumatisée, et d’Eddie, un homme instable dont les paroles suscitent fréquemment un malaise palpable.

C’est dans la brume qu’on reconnaît ses démons

La structure de Silent Hill repose principalement sur deux phases. La première consiste en l’exploration de la ville, qui permet de collecter des objets, d’affronter quelques ennemis, et surtout de progresser vers un lieu obscur qu’il faut explorer en profondeur. La deuxième phase, qui constitue le cœur du jeu, se déroule à l’intérieur de bâtiments complexes remplis de couloirs sinueux et de salles à fouiller minutieusement. Ces bâtiments peuvent prendre la forme d’une école, d’un hôpital ou d’autres structures similaires, et les activités y sont peu ou prou identiques : combattre ou éviter des ennemis, explorer, déverrouiller des accès, et résoudre des énigmes.

Une boucle de gameplay bien connue, mais parfaitement exécutée grâce à un level-design de très grande qualité, et enrichi de variation constante en termes d’ambiance et de sources de malaise. Cette alternance entre les escapades à ciel ouvert et l’exploration aux accents claustrophobiques est régulièrement bouleversée par le passage récurrent de ce pauvre James dans une dimension totalement cauchemardesque. Ce basculement est l’une des signatures de la franchise, et enfonce le joueur dans un enfer encore plus tangible. À ce propos, Silent Hill est souvent décrit comme un jeu dans lequel le protagoniste traverse deux dimensions.

En réalité, la ville maudite est structurée sur trois plans distincts. Le premier est le « monde normal », un espace sans monstres, silencieux et immobile, qui apparaît fréquemment au début et à la fin des épisodes, offrant une accalmie trompeuse avant la descente dans l’horreur. La deuxième dimension, enveloppée de brouillard, est la plus emblématique. Bien que les bâtiments paraissent normaux, le brouillard, les créatures errantes et les véhicules abandonnés plongent le joueur dans une réalité altérée et menaçante. Chaque porte verrouillée semble cacher un danger, chaque ruelle peut être une impasse fatale. Enfin, la troisième dimension, cauchemardesque, est la plus oppressante. Les environnements se transforment en dédales rouillés, en zones décrépies, maculées de sang, avec des éléments organiques. Cette version du monde reflète les pires cauchemars et traumatismes des protagonistes, inspirant un effroi viscéral.

James et les pêches géantes

Ce remake adopte une caméra épaule similaire aux récentes refontes des Resident Evil classiques (Resident Evil 2RE 3 et RE 4), offrant une immersion renforcée et une nouvelle perspective. Les créatures sont d’ailleurs plus dangereuses et imprévisibles que jamais, avec des attaques inédites qui rendent chaque rencontre très périlleuse, même en Mode Facile ! James a certes gagné une nouvelle capacité d’esquive, mais son arsenal reste limité, avec des armes comme un simple tuyau en acier ou quelques armes à feu.  Cela ne le place jamais en position dominante : chaque affrontement reste une épreuve, bien plus intense que dans l’original sorti il y a 23 ans. Il reste un homme ordinaire, un peu gauche, ce que les animations traduisent parfaitement par des mouvements parfois maladroits.

La fuite est souvent la meilleure option et ceux qui craignaient que cette nouvelle version se transforme en jeu d’action peuvent être rassurés : ce n’est absolument pas le cas ! Avec le brouillard omniprésent dans les rues et l’obscurité quasi permanente dans moult zones intérieures, une sensation de vulnérabilité constante s’installe. La lampe de poche, dont la lumière vacillante éclaire à peine les recoins obscurs, et la radio grésillante, qui annonce l’approche de dangers imminents, demeurent des outils extrêmement efficaces pour instaurer une tension palpable, même en 2024. James dispose désormais de nouvelles capacités d’interaction avec l’environnement : au-delà de ramasser des objets, des documents ou des munitions, il peut désormais déplacer des chariots, casser des murs, briser des vitres, se glisser dans des passages étroits ou enjamber des obstacles.

Une mise en garde en passant : consulter la carte (qui affiche toujours les annotations de James en temps réel) ne met plus le jeu en pause ! Le level-design général a été peaufiné, le rendant encore plus efficace qu’auparavant, avec également l’ajout de nouvelles zones, le tout saupoudré de nouvelles cinématiques et de situations inédites qui enrichissent le contenu. Certaines énigmes emblématiques, bien connues des fans de la première heure, font par ailleurs leur retour, mais elles ont été intelligemment réimaginées. À noter que le niveau de difficulté des énigmes est paramétrable, tout comme dans la version PS2.

Beauté morbide

Mazette que c’est superbe ! Dès les premières secondes, Silent Hill 2 vous happe par son magnétisme visuel. Sur PlayStation 5, le mode fidélité est vivement recommandé pour une expérience visuelle véritablement supérieure par rapport au mode performance. Les 30 images par seconde sont constantes, et cela n’entrave en rien l’immersion. Les environnements sont si magnifiquement détaillés qu’ils donnent l’impression au joueur de parcourir des artworks officiels, tout en respectant fidèlement la direction artistique de l’œuvre originale. Les effets d’éclairage jouent également un rôle central, apportant encore plus de crédibilité à chaque lieu. L’accent mis sur la narration environnementale est plus fort que jamais, chaque parcelle explorée raconte une histoire palpable, suintant le vécu de toutes parts. C’est un véritable exploit en termes de rendu, et la Bloober Team, déjà réputée pour ses compétences dans la création d’atmosphères, a surpassé ses précédents travaux avec ce remake.

La performance des acteurs n’est pas en reste, avec une interprétation qui parvient à être à la fois plus chiadée et actuelle, tout en restant fidèle au ton employé sur PlayStation 2 (vous avez le choix entre les voix anglaises ou japonaises, j’ai opté de mon côté pour la première option). Un point me fait néanmoins un peu tiquer : le nouveau visage de Maria. Bien que techniquement irréprochable, avec un acting là encore parfait, ce visage semble moins troublant et ambigu que celui vu dans l’original. C’est tout à fait subjectif, j’en conviens aisément. Concernant le bestiaire, chaque créature a été redessinée avec une grande fidélité aux intentions initiales (chacune symbolisant des concepts profonds et puissants). Les nouvelles variations apportées, notamment au niveau des mouvements, enrichissent encore la formule.

Pyramid Head, l’antagoniste emblématique, demeure quant à lui toujours aussi imposant et charismatique, préservant toute l’aura qui en fait un personnage iconique. Silent Hill 2 se distinguait aussi à l’époque par un travail sur le son qui se voulait extrêmement ambitieux. Akira Yamaoka, en réenregistrant ses célèbres morceaux, a su intégrer des éléments contemporains tout en préservant l’essence même de ses compositions originales, offrant une version actualisée qui conserve en tout point l’identité du titre. Le résultat mêle des morceaux de rock captivants à des sonorités conçues pour susciter des émotions ambivalentes, jouant un rôle central dans le ressenti du joueur.

Les bruitages, qu’ils soient organiques ou métalliques, participent également de manière fondamentale à la création d’une atmosphère oppressante. Car autant vous prévenir : chaque son n’a pas forcément sa justification logique ! Le pragmatisme n’a pas droit de cité à Silent Hill. Et c’est précisément ce refus de la logique rationnelle qui rend le sound design si marquant.

Retrouvez notre critique du livre Génération Silent Hill, consacré à toute la saga, ici !

Pour conclure…

La Bloober Team a réussi l’impensable : sublimer un monument du jeu vidéo qui semblait impossible à moderniser. Ce qui relevait du miracle en 2001 est à nouveau concrétisé avec brio : Silent Hill 2 version 2024 s’impose ainsi comme une œuvre interactive magistrale, indispensable pour les mordus d’horreur psychologique. Attention toutefois, le titre n’est pas à mettre entre toutes les mains ! Il se destine à un public mature et dispense une expérience unique pour chaque joueur, selon sa morale, ses failles et son vécu. Les thématiques explorées ici s’avèrent profondément sombres et perturbantes. Cette précision étant faite, il ne nous reste qu’à espérer un DLC qui reprendrait le contenu bonus de la version Xbox de l’époque (sous-titrée « Inner Fears ») et qui introduisait un petit segment jouable centré sur Maria. Ici, nous n’attendons que cela !

La  note  de la  rédaction

5/5

Les notes de la rédaction

Les points positifs

Tour de force qui confine au miracle

Le propos est toujours aussi puissant

Une leçon en termes de direction artistique

L’une des plus belles bandes-son de l’univers, ça bouge pas !

Des ajouts pertinents et qui enrichissent la formule

Les points négatifs

Valider correctement un point d’interaction (comme ramasser un objet) demande parfois trop de précision au joueur

Quelques bugs avec des ennemis qui restent figés et encastrés dans le décor

La caméra se met à trembler lorsque James se retrouve contre certains murs

Le segment “Inner Fears” n’est pas inclus

Vous devriez Lire aussi
Schtroumpfs Kart

Dans le même genre

Laisser un commentaire

En savoir plus sur GeeksByGirls

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading