Harold Halibut

Harold Halibut, cet ovni né d’un croisement entre le jeu vidéo et le film en stop-motion, serait apparu en 2012, lors d’une conversation pendant un dîner sur l’amour du stop-motion et des jeux narratifs. Peu de temps après, les décors du jeu prenaient vie dans le jeune studio allemand Slow Bros, créé en 2015 et situé à Cologne. Tous les éléments à l’écran sont fabriqués à la main, de manière traditionnelle, de quoi donner un véritable cachet et une forte personnalité à l’ensemble de l’œuvre.

Ce test a été réalisé sur une version PS5 fournie par l’Éditeur.

L’ivresse des profondes heures

Nous accompagnons Harold, ainsi que les nombreux autres personnages, sur le Fédora, un immense vaisseau spatial de la taille d’une ville, immergé dans un océan extraterrestre suite à un crash survenu il y a 250 ans. L’accident eut lieu lors d’une exploration dans le but de trouver une planète habitable, et ce en pleine période de guerre froide. Le Fédora est chapeauté par All Water (Toutes Eaux), une société qui recherche et développe les différentes technologies et gère les différents emplois tels que la police, les commerçants, les scientifiques,…

La vie suit son cours dans le vaisseau, cependant, Jeanne Mareaux, scientifique du navire, et notre mentor, travaille tout de même sans relâche pour trouver un moyen de partir et continuer la mission initiale. Nous évoluons dans un monde rétro-futuriste tout de métal et de “tubes” pneumatiques, sortes d’ascenseurs du futur, qui nous permettent de voyager entre les différentes zones pour y rencontrer les autres habitants, et bien souvent, les aider.

L’ambiance de Harold Halibut est très théâtrale tant dans les attitudes des différents protagonistes que dans les décors. Harold Halibut, le personnage que nous incarnons, vit sa vie bien tranquille jusqu’à ce qu’il fasse une rencontre des plus improbables, qui va changer sa morne existence à tout jamais, ainsi que toutes celles du Fédora…

Nous allons dès lors entreprendre un véritable voyage initiatique sur la signification du concept de “Home”, le foyer, mais aussi sur l’amitié et bien d’autres sujets tels que la nature et ses écosystèmes. Une exploration libératrice pour Harold tant la société bâtie dans Fédora laisse peu de libre arbitre à ses habitants, en instaurant un couvre-feu le soir, ou des coupons tels les tickets de métro par exemple, à utiliser pour faire certains trajets en particulier, qui servent à savoir où nous allons. 

Ovni en stop-(é)motion

La première chose qui accroche notre regard dans Harold Halibut, c’est évidemment la direction artistique, très cinématographique et très loin des standards habituels. En vue latérale la majorité du temps, nous nous déplaçons à droite ou à gauche dans un décor défilant en travelling.

Dès le début du jeu, le ton est donné, avec un menu tout bleu et extrêmement dépouillé, tel un message d’erreur 404 sur un moniteur. J’ai personnellement trouvé ce menu très agressif visuellement comparé au reste du jeu. Avec en plus, un texte blanc devenant jaune lorsqu’il est sélectionné, ce qui n’est pas très visible. Cependant, on pardonne très vite cet étrange choix esthétique lorsque le jeu se lance et que l’on est plongé dans l’univers de Fédora. Tout est tellement beau et bien animé, on va de surprise en surprise, de découverte en découverte.

Les matières se distinguent toutes parfaitement, que ce soit le tissu, le métal ou encore le verre. Les ambiances sont également superbes, les couleurs sont éclatantes et le travail sur la lumière dans les différents environnements est également varié et magnifiquement représenté, avec les néons, les lens flare et autres effets lumineux. J’ai également beaucoup apprécié le mélange de médias présents lors de certaines cinématiques, comme des aquarelles ou des dessins crayonnés. Ajoutons à cela que le studio a fait le choix de montrer ses références de manière assez explicite.

Ainsi, que ce soit dans les “tronches” des différents personnages de Harold ou bien dans les environnements riches de textures et de détails qui fourmillent, deux noms viennent évidemment en tête : ceux des studios Aardman et de Wes Anderson. Le studio d’animation anglais devenu légendaire avec Chicken Run ou Wallace et Gromit est ici cité de bout en bout, le jeu adoptant une plastique bien particulière quand il s’agit de faire apparaître des personnages aux visages joviaux mais aux formes très marquées ainsi qu’au look bien souvent excentrique.

Le cinéma d’animation d’Anderson se retrouve quant à lui dans les ambiances calmes et les décors bourrés à craquer d’éléments de décoration et d’objets contextuels destinés à donner vie aux espaces dans lesquels évolue Harold (On pensera notamment à “L’île aux chiens”). Mais ce n’est pas tout puisque Harold Halibut prend place dans des décors de base aquatique, voguant entre le vintage sixties, le steampunk et le rétro-futurisme hollywoodien, un peu comme si La vie aquatique et Asteroid City s’étaient donné rendez-vous dans le cabinet d’écriture de Jules Verne. Le tout, il faut bien le dire, donne un résultat somptueux et enivrant à l’atmosphère très particulière, qui peut rappeler Bioshock à certains moments.

Ça s’en va et ça revient

Mais qu’en est-il du gameplay ? Ce dernier est-il à la hauteur de la direction artistique ? Eh bien, la première chose qui frappe, c’est qu’il est “lourd” et lent, ce qui m’a rappelé mes débuts dans Red Dead Redemption 2. Personnellement, c’est un aspect dans les jeux que j’apprécie plutôt, cela donne du “corps” au personnage. Cependant, cette lourdeur pourra en rebuter certains, car même moi qui habituellement aime ça, j’ai trouvé Harold Halibut pesant à certains moments. Heureusement, la découverte de la touche pour courir est un réel soulagement ! Et quand je dis courir, c’est trottiner à son aise, notre Harold n’étant pas un grand sportif… Et pourtant, nous allons en faire des allers-retours ! Beaucoup. Beaucoup trop !

Nous utiliserons également le traditionnel carnet, qui a été repensé en PDA. Ce dernier nous indique les tâches à accomplir et pour quel PNJ. Il nous sert également à recevoir les messages des habitants, ou encore de carnet à croquis, qu’Harold remplit à chaque fin de quête. Il est important de souligner qu’il n’y a aucun ATH dans ce jeu, nous ne devons pas nous battre et notre vie n’est jamais en danger. Il n’y a donc pas de jauge de vie ou d’endurance, ni même de carte, ce qui nous permet de profiter pleinement de l’ambiance ! Cette absence de map force à l’exploration, mais il est difficile de s’y retrouver, surtout en début de jeu, notre cerveau devant jongler entre les différents secteurs, le mode de déplacement, ainsi que les nombreux personnages,… On aurait espéré qu’avec l’utilisation du PDA, une carte serait éventuellement disponible, mais il n’en est rien.

Nous sommes cependant aiguillés par la fermeture de certaines portes, ou des remarques d’Harold pour certaines quêtes. La plus grande partie du gameplay du jeu consiste à rendre service à des PNJ, leur trouver des objets, leur ramener, transmettre des messages etc… Ok, dit comme ça, cela peut sembler rédhibitoire, mais contrairement aux jeux traditionnels où ces quêtes permettent surtout de prolonger artificiellement le jeu, ces tâches sont la quête principale, et cela permet une plus grande implication de notre part car elles ne sont pas desservies par des phases de jeu plus intenses. Et cela en particulier au début de l’aventure, où cela nous aide à ressentir le confinement d’Harold et des habitants de la station, ainsi que de l’aspect particulièrement monotone de leurs existences au fond de l’eau.

Le tout est ponctué par les consignes données par All Water à chaque déplacement en tube pneumatique, ou lors du couvre-feu par exemple, elles aussi très répétitives… Par la suite pourtant, d’autres environnements seront visitables et permettront de varier les décors et les approches artistiques. Mais finalement, le type de quête sera, quant à lui, toujours similaire. Chacun se fera donc son opinion sur ce choix de gameplay peu varié du studio.

Parlons maintenant des mini-jeux qui ponctuent notre exploration dans Harold Halibut . Lors ce certaines des petites quêtes où l’on doit aider les PNJ, nous devons faire un mini-jeu, obligatoire, afin de terminer la quête entreprise. Un aspect bien souvent amusant car cela donne un peu de challenge au joueur. Eh bien, là aussi, le jeu nous prend de court car la plupart du temps il n’en est rien ! Surtout qu’il n’y a pas d’enjeux particuliers à les résoudre : pas de temps imparti, pas de nombre d’essais limités, … juste varier les vues de caméras, triturer un peu le gameplay, mais c’est tout. Qui plus est, elles se terminent bien souvent en eau de boudin, heureusement cet aspect est presque systématiquement souligné par de l’humour, ce qui permet de faire passer la pilule.

Parlons d’ailleurs de l’angle de caméra car il est propre au jeu et à son gameplay. Scrupuleusement le même tout au long de la première partie de Harold Halibut, il change enfin à la deuxième zone et cela apporte une salvatrice bouffée d’air frais et contribue à nous faire vivre une liberté croissante, et ce, en même temps qu’Harold. D’autant plus que la vue latérale n’aide pas toujours à évaluer la profondeur et j’ai souvent envoyé le pauvre Harold contre un mur au lieu de lui faire passer une porte. J’ai d’ailleurs pendant tout le jeu eu envie de pouvoir bouger la caméra, juste pour pouvoir voir l’environnement sous un autre angle, l’explorer dans ses moindres détails.

Une frustration donc, mais qui doit sans doute être une contrainte liée à la façon dont le jeu a été façonné, les décors ayant été fabriqués à la main et les personnages animés en stop-motion, le tout probablement filmé sous un seul axe et non modélisé en 3D comme dans un jeu traditionnel. J’ai également eu envie d’un mode photo à plusieurs reprises, afin de pouvoir immortaliser certaines zones, voire même de faire prendre la pose aux personnages apparaissant à l’écran.

Une bossa nova-trice

La musique est un élément vraiment important dans le jeu. Elle est d’ailleurs tout aussi envoûtante que l’univers visuel d’Harold Halibut ! Dans la plupart des zones de la base, nous voguons dans des thèmes aux rythmes doux et chaloupés, façon musique d’ascenseur ou attente téléphonique, une sorte de bossa nova très sixties qui installe cette fameuse ambiance du quotidien redondant mais bercé par la vision rêveuse d’Harold.

Dans ses meilleurs moments, le jeu se permet de magnifiques petites envolées lyriques, usant d’instruments difficilement identifiables, sans doute inspirés d’orgue et de thérémine, monde extra-terrestre oblige… Le thème du menu par exemple est tout simplement sublime, et tout aussi décalé que le visuel du jeu. Certaines cinématiques sont absolument parfaites et remplies de poésie et d’émotions, le tout ponctué de thèmes musicaux toujours choisis à la perfection. Je pense à la scène de nettoyage de la pompe de filtration par exemple, digne d’une comédie musicale, ou bien la rencontre avec Weeoo sur un magnifique thème au piano, ou encore une autre rencontre, celle des Gardiens de la Lumière. Les phases de dialogue, et donc les doublages sont eux aussi parfaitement exécutés, les acteurs arrivent à rendre vivants les personnages et à leur donner une belle profondeur.

Une bulle d’air frais

Il fallait, pour un jeu sous-marin, travailler l’immersion (vous l’avez ?). Et cela est très réussi, avec de gros points positifs mais néanmoins certains défauts, ou plutôt des actes manqués… En ce qui concerne le gameplay tout d’abord, certains éléments sont parfaitement immersifs alors que d’autres le sont moins.

Les tutos par exemple, sont vraiment excellents car on utilise la personnalité nonchalante, naïve et rêveuse de Harold Halibut pour forcer les PNJ à nous expliquer “une fois de plus” le fonctionnement de telle ou telle mécanique. Dans ces moments, nous avons réellement l’impression que c’est Harold qui tient la manette et se pose les questions à notre place afin de nous indiquer la marche à suivre. C’est spontané, naturel et rafraîchissant. Cela change des fenêtres habituelles de certains titres qui cassent le rythme du jeu.

Par contre, le parti pris de la caméra sur laquelle nous n’avons aucun contrôle, ou le manque de choix lors des dialogues, sortent de l’immersion et mettent une distance entre nous et les personnages. Cela est d’autant plus dommage que ces choix multiples auraient pu avoir un réel impact sur le scénario et l’étoffer ainsi encore plus qu’il ne l’est. On comprend vite que l’on suit une histoire qui n’est pas la nôtre, mais bien celle de chaque intervenant, à la manière d’un film ou d’un dessin animé.

J’aurais également trouvé intéressant d’avoir un inventaire, Harold aurait pu porter une petite sacoche par exemple dans laquelle mettre certains objets (au hasard, les lettres…), cela aurait évité un énième aller-retour qui finit par être plombant. En ce qui concerne l’univers ensuite, un petit détail parmi tant d’autres, c’est la manière de compter le temps. Ce dernier ne se compte pas en années, mais bien en “Jours après le Crash”, une façon de nous rappeler très souvent où nous sommes et pourquoi nous y sommes.

En termes d’optimisation enfin, j’ai remarqué certains lags lors de lancements de conversations, les PNJ sont tout noirs avant de retrouver leurs textures, désarçonnant… Toujours concernant les PNJ de Harold , j’ai trouvé dommage qu’ils restent plantés là, les yeux dans le vide, en attendant qu’on finisse notre quête ou qu’on leur parle. J’aurais apprécié une mini animation pour les rendre plus vivants. Cela est d’autant plus dommage que certains environnements évoluent eux bel et bien en fonction des personnages et de leurs actions (comme le bureau de poste par exemple).

Je suis cependant consciente du travail que cela doit représenter d’ajouter ce type d’élément dans un jeu comme celui-ci et, soyons honnête, cela ne gâche en rien l’expérience de jeu… J’ai enfin pu remarquer que certains choix multiples des phases de dialogues n’étaient pas traduits en français et étaient encore en anglais

Pour conclure…

Si vous êtes intéressés de découvrir un univers original avec une histoire sympa, fabriqué avec amour par un petit studio, mais au détriment d’un gameplay nerveux et rapide, vous allez adorer Harold Halibut ! Mais soyons clairs, ce jeu n’est clairement pas fait pour tout le monde. Malgré une esthétique aux petits oignons, une musique tout aussi géniale, le gameplay lui n’est vraiment pas à son avantage. On lui reprochera sa lenteur ou encore ses nombreux allers-retours. Mais Harold Halibut a tout de même de quoi séduire de par son esthétique, ses personnages attachants et bien développés, ou encore son humour. De plus, le jeu est à un prix très accessible, au vu du travail que cela a demandé, ça les vaut largement. Bref, si vous êtes un.e amoureus.e du cinéma d’animation en stop-motion, et que avez toujours rêvé d’explorer une base sous-marine en compagnie de personnages hauts en couleur, le tout dans une ambiance très Wes-Andersonienne, ce jeu saura ravir vos yeux, vos oreilles ainsi que votre soif de sentiments humains.

La  note  de la  rédaction

4/5

Les notes de la rédaction

Les points positifs

Direction artistique

Musique

Moments forts et poétiques

Développement des personnages

Les points négatifs

Très lent

Beaucoup d’allers-retours

Pas d’inventaire

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