C’est tout frais ! Une toute nouvelle collection fait son apparition sur le marché (pourtant déjà bien saturé) du manga. Le téméraire en question s’appelle Rue de Sèvre, et lance Le Renard Doré, sa gamme dédiée à l’art japonais. Et il démarre tout en douceur avec trois titres dont les couvertures sont toutes plus mignonnes les unes que les autres. Pour ma part, j’ai décidé de tester “La Forêt Magique de Hoshigahara” qui m’a attirée par sa jaquette d’un vert émeraude du plus bel effet. Il s’agit d’un manga d’une jeune autrice nommée Hisae Iwaoka et qui, croyez-moi, en a sous le coude. Même si elle est inconnue chez nous jusqu’à présent, elle possède déjà un très chouette petit palmarès au Japon avec, notamment, la détention du prix “Japan Media Arts Festival” (dont elle est l’une des trois seules femmes à l’avoir obtenu en 25 ans d’existence) mais également pour avoir été sélectionnée afin d’exposer ses œuvres lors d’une exposition prestigieuse consacrée au plasticien Takashi Murakami. Elle a donc débarqué en francophonie en cette belle année 2024 grâce à la toute nouvelle collection Le Renard Doré et j’avais très hâte de découvrir ce que renfermait cette couverture intrigante.
À Hoshigahara se trouve une forêt bien mystérieuse. Dans ce merveilleux lieu hors du temps, la magie opère à chaque instant : la nature s’anime, les animaux parlent et la vie se voile de surnaturel.
Le Renard Doré
Belle Ôde en Forêt
Après une somptueuse double page de forêt japonaise, notre histoire de La Forêt Magique de Hoshigahara commence par un jeune coq fuyant un enfant tentant de le frapper avec un bâton. Nul doute que le jeune n’a aucune intention malveillante mais notre petit volatile semble quant à lui ne pas le savoir et nous explique très vite (car oui, il parle) qu’il déteste les hommes car ils sont agressifs, leur odeur le mettant dans tous ses états. Il a donc dû fuir l’enfant et se réfugier sans même s’en rendre compte au cœur d’une forêt, dans une maison, et plus précisément, une maison abandonnée.
Après un petit temps de repos, quelle n’est pas sa surprise de se faire saluer par deux armoires à glace, semblant garder la double porte d’entrée de la bâtisse. Heureusement pour Jaune (car c’est son nom), ces derniers ne sont pas des humains mais bien des esprits gardiens. Et ils ne vivent pas seuls puisqu’ils sont bientôt rejoints par plusieurs autres entités occupant paisiblement la demeure. Nous apprendrons alors à les connaître progressivement à travers leurs récits respectifs ainsi que des légendes locales qui, elles, nous en apprendront davantage sur le bâtiment.
Le début pourrait paraître un peu téléphoné et raté tant certains clichés, notamment visuels, viennent casser l’ambiance que nous promet la couverture. Ainsi, Jo (car c’est son surnom) est une poule, certes, mais une poule en costume, ce qui renvoie à un imaginaire très enfantin et casse quelque peu l’ambiance un peu mystique que j’espérais trouver dans La Forêt Magique de Hoshigahara en débutant ma lecture. Heureusement la suite s’est montrée à la hauteur de mes attentes ! Les premiers chapitres sont en quelque sorte des récits isolés, emprunts de calme, de fables et de légendes prenant place dans la fameuse Forêt d’Hoshigahara, qui pourraient s’apparenter au style de Yuki Urushibara (Mushishi, Flow) puis, par la suite, un fil rouge s’installe grâce au personnage de Soîchi, le plus mystérieux des habitants et en quelque sorte le chef de la bande.
Ce jeune garçon, habité de gentillesse et de bonté, aime aider son prochain, qu’il soit humain ou spirituel, mais nous apprenons après quelque temps qu’il est atteint par une malédiction et qu’il doit collecter les bonnes actions afin de sauver son âme. Cela ne le rend aucunement antipathique car il faut préciser qu’il ne propose pas son aide par intérêt mais bien par altruisme. La fin du tome nous en apprendra d’ailleurs beaucoup plus sur sa situation et réglera même une intrigue importante, bien plus tôt que ce que je pensais.
C’est là que Sôichi, un jeune garçon prévenant, cohabite en harmonie avec les esprits de sa maison et vient en aide aux âmes égarées.
Le Renard Doré
Supplément d’Âmes
Autant le dire tout de suite, ce récit de La Forêt Magique de Hoshigahara m’a littéralement emportée ! Adepte des mangas “spirituels” me permettant d’en apprendre toujours davantage sur la mythologie si riche du Japon et de pouvoir me détendre en entendant le bruit des cigales et du vent dans les feuilles, j’ai été servie. Même si nous sommes ici en présence d’une œuvre bien plus dynamique et un peu plus brouillonne que les chefs-d’œuvre du genre (Mushishi à nouveau, ou bien certains récits du grand Jiro Taniguchi), la narration, les atmosphères et les intrigues sont au rendez-vous et en très grande forme.
L’autrice mène parfaitement sa barque entre humour, émotion et vague à l’âme, le tout dans un récit attachant, distrayant mais surtout ressourçant. Nous avons envie de parcourir cette forêt, nous avons envie de nous arrêter afin d’explorer cette cabane, nous avons envie d’en savoir plus sur nos protagonistes et nous avons finalement envie qu’ils s’en sortent lorsqu’ils seront mis en danger vers la fin du tome.
Après la lecture apparaît un sentiment de bien-être et d’apaisement, une sorte de retraite spirituelle accélérée pour le prix d’une BD, il serait donc dommage de gâcher son plaisir. La forêt est un lieu privilégié qu’il faut protéger à tout prix de la destruction humaine et c’est également un peu cela que ce manga tente de nous enseigner. Sans partir dans la maestra et l’epicness d’un Princesse Mononoke (mais qui sait ce que nous réservent les prochains tomes ?), il est ici explicitement question de préservation de la nature ainsi que de certaines traditions, lorsqu’elles ont un sens réel et une aura de bénédiction, et non de mort et de destruction.
Sous les branchages de cette forêt se dessine une ôde à la nature fantastique, poétique et humaine qui se révèlera aussi tendre que déchirante.
Le Renard Doré
Le Vent Dans les Souls
Côté graphismes, l’autrice frappe fort également ! Préférant les mangas “à décors” (entendons les tomes où les personnages ne baignent pas constamment sur fond blanc et cases vides comme c’est malheureusement le cas de bon nombre de shojo, entre autres), j’ai été servie. Chaque case de La Forêt Magique de Hoshigahara est détaillée et les environnements fourmillent de détails. On sent que Hisae Iwaoka est une amoureuse de la forêt. Sa capacité à rendre compte de chaque branche, chaque feuille, chaque variété d’arbre, mais aussi (et surtout) d’installer ses atmosphères, notamment celles liées au souffle du vent dans les branchages, est tout bonnement incroyable. Pourtant, le trait n’est pas parfaitement précis mais plutôt spontané et brossé à certains moments, ce qui apporte beaucoup de dynamisme aux scènes en mouvement.
Les personnages sont beaux dans leur naïveté apparente et leurs bonnes bouilles sympathiques donnent envie de passer du temps à leurs côtés. Presque aucune trame ne compose les planches, ce qui pourrait rendre le tout un peu plat mais accentue ici l’aspect net et pur du trait noir sur papier blanc, rendant le tout à la fois incisif et dynamique. Enfin, l’édition est à la hauteur de ce travail tout en sensibilité, Le Renard Doré ayant fait le choix d’un grand format au papier épais. L’impression est splendide et ne comporte aucune bavure ou approximation, les noirs sont profonds et le blanc du papier est lumineux à souhait.
Et que dire de la jaquette ? Cette superbe aquarelle sur papier épais (presque gaufré) toute en nuances de verts forestiers, ponctuée par deux personnages plus mignons l’un que l’autre à l’avant et par trois petits esprits de la forêt à l’arrière, prenant place autour d’une souche d’arbre très naturaliste. Les rabats poursuivent la fresque et terminent de nous présenter les habitants de la maison, créant en eux-mêmes de très belles compositions également. Sur le dos, le vert se poursuit évidemment, occupé de manière discrète mais habile par les logos de la maison d’édition ainsi que celui de la collection, apposé en peinture dorée, ce qui termine de donner à cette édition un aspect luxueux et prestigieux. Vous l’aurez compris, c’est du très beau travail !
Le Renard Doré démarre fort pour son arrivée sur le marché du manga avec La Forêt Magique d’Hoshigahara, un récit tout en douceur et en sensibilité. Dans la tradition des histoires de fantômes, légendes et autres êtres spirituels japonais, l’autrice et dessinatrice Hisae Iwaoka nous emmènent dans une magnifique forêt où chaque chapitre nous en apprend un peu plus sur l’histoire du lieu mais aussi des protagonistes. Avec un style graphique tout en subtilité, dynamisme et naturalisme, elle sait nous faire voyager au cœur des plus beaux décors naturels japonais dont seuls les mangakas ont le secret. Un fil rouge et une intrigue s’installent progressivement afin de nous faire passer d’un manga contemplatif vers un style plus emporté ou l’action est à son tour parfaitement maîtrisée et toujours aussi spirituelle. Un très bel ouvrage donc que Le Renard Doré à su mettre en valeur dans une très belle édition intelligemment et élégamment fabriquée.