Hitomi

Urban a décidé de mettre en avant un jeune auteur en la personne de HS Tak, scénariste peu connu qui nous livre, avec Hitomi, son troisième ouvrage à ce jour. Isabella Mazzanti, quant à elle, est une dessinatrice multidisciplinaire qui a beaucoup développé son art auprès d’institutions asiatiques, ce qui a sûrement dû l’inspirer pour les planches qu’elle nous offre dans ce livre. Cette réunion de (presque) débutants livre-t-elle un travail de qualité qu’Urban a, rappelons-le, décidé de publier en grand format ?

Cette critique a été réalisée avec un exemplaire fourni par l’Éditeur.

Même si tu le trouvais, ce samuraï… Qu’est-ce que tu ferais ?

Urban

Afro Samouraï ?

Hitomi est une jeune orpheline qui parcourt le Japon à la recherche de l’assassin de sa famille, cet assassin n’étant autre que le fameux Yasuke, ancien samouraï de Nobunaga bien connu de l’Histoire japonaise avec un grand H. Figure emblématique mais atypique du folklore nippon, ce guerrier est connu pour avoir été le seul samouraï à la peau noire connu à ce jour et dont toute trace a disparu suite à la mort du Seigneur Nobunaga.

Ayant vécu dans le courant du XVIe siècle, il reste aujourd’hui encore un personnage charismatique et mystérieux qui semble avoir récemment tapé dans l’œil de la pop culture, pour preuve, les récentes annonces d’Ubisoft qui l’érigera en protagoniste de son prochain opus d’Assassin’s Creed Shadows. Ce n’est pas le jeu vidéo qui nous intéresse aujourd’hui, mais bien la vie et l’œuvre de Hitomi, notre héroïne, celle par qui nous allons découvrir cette histoire riche en rebondissements, honneur et vengeance. Car la colère qui l’habite ne vient pas de nulle part. Elle nous permet d’ailleurs d’en apprendre un peu sur la vie passée de Yasuke, qui, sur ordre de Nobunaga, aura mis à feu et à sang de nombreux villages de dissidents, sans jamais réellement en assumer les conséquences.

Tu n’est qu’une petite fille…

Urban

Le Faucon et la Panthère

Mettons les choses au point dès le départ, Hitomi ne brille pas par son originalité narrative. En effet, nous avons là une histoire somme toute classique de vengeance que n’aurait pas reniée Quentin Tarantino par exemple. Ainsi, le récit se déroule de manière fluide et programmée, avec une scène d’introduction façon western où Hitomi débarque dans un village à la recherche d’informations sur sa cible, ensuite un flash-back nous présentant les enjeux de la mission qu’elle s’est donnée, suite à quoi nous basculons sur un récit où l’évolution des deux protagonistes nous est présentée en parallèle jusqu’à la rencontre tant attendue.

La deuxième partie du livre va alors nous narrer la cohabitation des deux ennemis, alliés pour un temps, Hitomi désirant finalement devenir l’apprentie du samouraï. Bien que téléphonée, l’histoire n’en reste pas moins intéressante à suivre et très bien rythmée. La lecture est rapide, notamment grâce à la mise en page de la dessinatrice, mais nous y reviendrons. Nous allons alterner entre des moments très classiques d’apprentissages et d’histoire de vengeance, avec des moments un peu plus originaux, parfois même oniriques, mais cela reste rare. L’un des éléments les plus pertinents d’Hitomi est l’opposition que l’auteur va créer entre la fougue et la colère qui habitent la jeune fille, et la vieillesse et la lassitude qui font l’identité de Yasuke. Cela donne cours à de beaux moments de discussions entre les deux combattants.

Mais tout ne les oppose pas pour autant, en effet, ils sont finalement très proches, voire identiques, dans leur façon de survivre à tout prix dans un monde qui leur a tout enlevé. Au final, et encore une fois de façon très classique, chacun va apprendre de l’autre. Hitomi apprendra la tempérance sur les conseils d’un ancien guerrier désabusé là où Yasuke retrouvera quelque chose (quelqu’un) auquel s’accrocher afin de donner un peu de sens à son existence.

Le récit prenant place dans un contexte historique, il me semble que le Japon féodal est plutôt bien retranscrit, que ce soit visuellement ou socialement, avec son système de code du samouraï, ses systèmes de classes et même l’organisation des classes sociales. C’est finalement une belle réussite pour un si jeune auteur qui, en ayant fait le choix de ne pas prendre beaucoup de risques dans la forme, réalise un sans-faute sur le fond.

Je découvrirai son point faible. Et j’arracherai son âme à son corps.

Urban

Estamp’lement Réussi

Avec son style et ses nuances rappelant les estampes japonaises, la dessinatrice a su mettre en avant ses apprentissages auprès de professeurs asiatiques. Le trait est appuyé et les cernes noirs qui entourent les personnages permettent une parfaite lecture des scènes et ancrent le récit dans un contexte culturel et historique au premier coup d’œil. On sent que l’ouvrage a été pensé en doubles planches tant dans la cohérence générale de la mise en page que dans l’harmonie très marquée des magnifiques nuanciers utilisés.

Lors des scènes narratives très “terre à terre”, les couleurs et l’organisation des planches se veulent réalistes, voire naturalistes avec des teintes terreuses, jaunes et ocres, rappelant en cela la tonalité sépia et chaleureuse que l’on associe très souvent aux représentations artistiques de l’Asie féodale, et une fois passé dans des scènes plus expérimentales et métaphysiques, la narration trouve une certaine liberté créative, tant dans la mise en page que dans les gammes de couleurs, alors beaucoup plus osées et polychromes, tout en restant sophistiquées et harmonieuses, une très belle réussite.

Mention spéciale à la scène très emportée où un tigre aux graphismes très inspirés des estampes parcourt une double page baignée de tonalités verdâtres créant, pour un temps, une capsule graphique et psychédélique au sein du récit, rappelant fortement l’art et la manière d’un James Jean. Le choix d’Urban de publier ce court récit en grand format trouve alors tout son sens et nous permet d’apprécier à sa juste valeur le travail d’Isabella Mazzanti.

Comme il m’a arraché la mienne il y a si longtemps.

Urban

Samour’Eye Contact

Quelques mots sur l’édition qui, comme toujours chez Urban, est particulièrement soignée et esthétique. Nous retrouvons la charte graphique des grands formats de l’éditeur depuis quelques années avec son dos strié aux couleurs vives qui attirent bien le regard dans la bibliothèque. Ici ce sera du rouge brique qui se poursuivra d’ailleurs sur l’arrière du livre, où l’histoire nous est résumée en quelques lignes blanches sur fond d’estampe monochrome. La couverture, très bien choisie, reprend une splash-page du récit et non une des couvertures originales, un choix très malin qui brille par sa sobriété et la cohérence graphique avec l’intérieur de l’ouvrage. Cette couverture donne vraiment envie, et c’est ça qu’il faut retenir.

Pour conclure…

Bien que restant classique dans ses thématiques et sa narration, Hitomi reste un ouvrage agréable à parcourir, tant pour l’âme que pour les yeux. Les deux artistes parviennent à livrer un travail presque irréprochable qui saura vieillir dans le temps de par son classicisme assumé ainsi que sa sobriété artistique. Nous n’en apprenons pas énormément sur Yasuke mais nous ne ressortons pas non plus sans aucunes connaissances, et on constate vite que ce n’est pas tant l’aspect historique du récit qui intéresse TS Hak mais le récit d’une rencontre, avec tout ce que cela comporte quand deux opposés doivent cohabiter. Un très bon ouvrage donc, découvert et publié par Urban, qui ne déçoit définitivement quasi jamais.

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